Cameroun : Le bégaiement est une réalité sociale, mais surtout politique.
Il fut un temps où je pensais que le bégaiement était une maladie. À mesure que je grandissais, je l’appréhendais comme une difficulté. Cette difficulté était celle de ne pas pouvoir bien articuler les mots, voire de le faire, mais avec beaucoup de mal. Dans le village où j’ai grandi, on m’a appris qu’un bègue pouvait facilement retrouver l’articulation des mots, s’il buvait régulièrement de l’eau dans une coquille d’escargot. Chose à laquelle j’ai cru (parce que j’étais encore enfant). Cependant, j’ai remarqué que les bègues ne bégaient pas quand ils sont sérieux, mais surtout quand ils chantent. Je fais allusion à mon cousin qui est prêtre et qui ne bégaie jamais pendant une messe. Le sujet du jour part de ces remarques. Parlons de bégaiement politique. Comment se manifeste le bégaiement politique en contexte camerounais ?
La situation économique, sociale et surtout politique de mon pays n’est pas différente du bégaiement. C’est à la fois, indépendamment de tout un chacun, une maladie et une difficulté.
Le bégaiement politique : une réalité mathématique
Le dictionnaire Larousse définit le bégaiement comme un trouble de la parole, qui se manifeste par une difficulté de prononciation. Bégayer c’est donc mal articuler les mots, les prononcer avec peine. C’est une équation simple que nous pouvons facilement résoudre avec des équivalences. Si nous prenons la parole ici comme le développement ou l’émergence et la prononciation comme les actions devant aboutir à celle-ci, nous pouvons facilement définir la situation camerounaise, synonyme de bégaiement, en quelques points.
Description des équivalences au contexte camerounais
Bégayer = difficulté de prononciation ↔ Réalité = difficultés à mener des actions
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Bégayer = Parole troublée ↔ Réalité = Émergence troublée et incertaine
Les mathématiques ne sont pas mon fort. Essayons juste de comprendre.
Et si on se posait deux questions: qu’est ce qui trouble la parole ? Pourquoi la parole est- elle troublée ?
Au Cameroun, les actions peuvent être bloquées par plusieurs raisons. On peut commencer par évoquer la volonté des dirigeants à ne pas fournir des efforts au moment propice. L’exemple le plus patent est celui de certains chantiers qui sont bloqués, parce que le ministère des Finances n’a pas débloqué les moyens à temps. Comme bégaiement communicationnel, nous avons pu avoir en mode heurt, la sortie du ministre de la Communication sur le choix du lieu des obsèques de la belle mère du chef de l’État. Sans commentaires.
L’on peut croire que la parole est troublée parce que les bègues font tout pour rester bègues. Le bégaiement politique au Cameroun ne profite qu’aux bègues. L’émergence pour les non bègues en 2035, après celui manqué de 2015 avec les OMD, demeure un leurre. Celui des bègues est atteint une fois qu’ils deviennent bègues.
Voies de contournements
Les bègues n’éprouvent aucune difficulté de prononciation lorsqu’ils chantent. C’est la réalité camerounaise. Ceci est perceptible à travers l’équation suivante :
Bégayer = difficulté de prononciation ↔ Réalité = difficultés à mener des actions
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Chants = facilité de prononciation ↔ Réalité = facilité à parler des actions, discours creux
Les bègues, (nos dirigeants et nos élus), n’éprouvent aucune difficulté à faire des chants, pardon, des discours sur l’émergence. C’est facile. Le message passe, mais ce n’est pas la parole, pour ne pas dire les actes.
Nous connaissons tous l’importance et le caractère sacré de la parole en Afrique. Quelque soit ce qu’on nous chante en boucle tous les jours sur l’émergence, tant que les paroles, les actions ne suivent pas, ça reste des chants. Et même si on persiste à chanter, la réalité de la parole s’imposera et il faudra rendre compte un jour. Donald Kaberuka l’a bien dit. L’émergence ne se décrète pas. Il est le fruit d’un long labeur. Même les chanteurs savent que c’est la parole qui fait l’Atalaku. Et ils le font sans bégayer.
Le bégaiement est peut être inné. Le comportement d’un dirigeant ou élu camerounais lambda fier de l’être, aussi. Cependant il y en a qui font des efforts pour que leur bégaiement s’accentue. Ils ne posent aucune action concrète, ils se réfugient dans les chants.
L’éducation de base comme solution
Quelles solutions ? Faut-il toujours boire de l’eau dans la coquille de l’escargot ? Pour moi, cela ne résout pas les difficultés. Il faut confier le soin du bégaiement au ministère de l’éducation nationale. En fait, au cours de le journée consacrée au bégaiement le 22 octobre dernier, un enseignant faisait savoir à la CRTV* que certaines études et des résultats obtenus par des instituteurs montrent que lorsqu’un enfant bègue est bien tenu à la base, il parvient à surmonter toutes ces difficultés. Le Cameroun a 50 ans. Est-ce que cela vaut aussi pour les quinquagénaires ? Je pense que la solution peut être vue autrement. On doit commencer à former les citoyens de l’émergence à l’émergence dès maintenant, afin qu’ils surpassent leur bégaiement et ne s’expriment plus seulement à travers les chants.
Parler de bégaiement social, économique ou politique me permet tout simplement de présenter une réalité et non stigmatiser tous les bègues.
Dschang le 17 novembre 2014.
Marius M. FONKOU
*Cameroun-Radio Télévision, chaine nationale camerounaise.
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